Pâques, sommet de lʼannée liturgique

Claire L. organise des cycles de formation en théologie depuis plus de 15 ans. Passionnée par les questions de théologie et de foi, elle partage avec nous son « Regard de théologien ». A l’approche de Pâques, Claire nous rappelle pourquoi c’est le moment le plus important de l’année pour nous chrétiens.  

Pour bien comprendre la portée de Pâques, il convient de poser le cadre: le temps de Dieu est appelé liturgie. La liturgie est doublement cyclique: elle s’articule à la fois autour de la semaine et autour de l’année liturgique. La fête de Pâques en est le sommet.

Lʼorigine du mot liturgie

Dans le monde grec, ce mot désigne l’acte public, le service de la part du peuple et en faveur du peuple ( deleitos : public et ergon : œuvre ou travail). Le mot grec a un sens profane: dans la cité grecque l’organisation de spectacles pouvait revenir à des citoyens aisés qui en assuraient aussi le coût. Ainsi en Rm 13..6. et en He 1.14, les litourgoi sont des fonctionnaires, par exemple ceux qui reçoivent les impôts.
Le service public de Dieu étant celui de la prière et du culte, les chrétiens ont repris ce terme pour désigner l’exercice de la fonction sacerdotale dans son ensemble.

Chez les Byzantins depuis le IXe siècle, la liturgie désigne la messe.

Dans l’église latine, on parlera de « Divins offices » jusqu’au XVIe siècle, époque à laquelle le mot est repris dans le sens byzantin. Depuis le XVIIIe siècle , c’est l’ensemble du culte officiel de l’Eglise.

Que célèbre la liturgie?

Dans le Credo, nous confessons la foi de l’Eglise: le mystère de la Sainte Trinité et de Son projet bienveillant sur toute la création. Le père accomplit sa volonté en donnant son fils bien-aimé et son esprit-saint pour le salut du monde et la gloire de son nom. Cette œuvre de rédemption et de glorification du nom de Dieu qui commence par les œuvres divines dans le peuple de l’ancien testament, le Christ lʼa accompli, complètement réalisé, principalement, par le mystère de la passion, de sa résurrection et de son ascension : le mystère pascal par lequel «en mourant, il a détruit la mort, et en ressuscitant, il a restauré la vie»

C’est pourquoi la liturgie célèbre principalement le mystère pascal par lequel le Christ a accompli lʼœuvre de salut, afin que les fidèles en vivent et en témoignent dans le monde.

La liturgie célèbre principalement le mystère pascal par lequel le Christ a accompli lʼœuvre de salut, afin que les fidèles en vivent et en témoignent dans le monde.

Dans le nouveau testament, le mot liturgie est employé pour désigner non seulement la célébration du culte divin, mais aussi l’annonce de l’évangile et la charité en acte. Dans la célébration liturgique, lʼEglise est servante, à l’image de son Seigneur, l’unique « Liturge » (He 8,2.6), participant à son sacerdoce dans le culte, à sa dimension prophétique par lʼannonce et à sa dimension royale par le service de la charité.

Dans la tradition chrétienne, « Liturgie » veut signifier que le peuple de Dieu prend part à lʼœuvre de Dieu (Jn 17,4) : « … Jʼai achevé lʼœuvre que tu m’avais donné à faire. » Par la liturgie, le Christ, notre rédempteur et grand prêtre continue dans son Eglise, par Elle et avec Elle, l’oeuvre de notre rédemption. C’est une action sacrée communautaire, au cours de laquelle s’accomplit le renouvellement des mystères du Christ, en vue de l’application de leur effet de salut.

La liturgie est considérée à juste titre comme l’exercice de la fonction de prêtre de Jésus- Christ. La sanctification de l’homme y est montrée par des signes visibles et sensibles (eau, chrême) avec des rites correspondants et réalisée par le corps mystique du Christ de façon publique.

Le corps mystique du Christ est l’association du Christ (prêtre) et de son Eglise (Eglise corps du Christ). Cela nous est en particulier rappelé à la communion où le Amen de la foi répond à lʼaffirmation « le corps du Christ ».
L’action liturgique, de ce fait est l’action sacrée par excellence. Nulle autre action de l’Eglise ne peut atteindre la même efficacité.

La liturgie manifeste et réalise lʼEglise comme signe de la communion entre Dieu et les hommes par le Christ. Elle doit être précédée par l’évangélisation, la foi, la conversion. Elle portera alors ses fruits : vie nouvelle selon l’Esprit, engagement dans la mission de lʼEglise, service de son unité.

La liturgie est participation à la prière du Christ dans l’Esprit saint. En elle toute prière chrétienne trouve sa source. Par la liturgie, l’homme intérieur, fondé dans l’amour de Dieu, se laisse habiter par Jésus (Ep3,16-17)

« La liturgie est le sommet auquel tend l’action de IʼEglise et la source d’où découle sa vigueur. » C’est ce que nous enseigne Vatican II. Elle est le lieu privilégié de la catéchèse, car c’est dans ses sacrements que Christ Jésus agit en plénitude pour la transformation des hommes. La catéchèse liturgique vise à introduire dans le mystère du Christ, en procédant du visible vers l’invisible, du signifiant au signifié, des et sacrements aux mystères.

La catéchèse liturgique vise à introduire dans le mystère du Christ, en procédant du visible vers l’invisible, du signifiant au signifié, des et sacrements aux mystères.

Les cycles liturgiques : un rythme hebdomadaire d’une part…

Plusieurs cycles en fait se superposent : le cycle journalier, rythmé par la liturgie des heures ; le cycle hebdomadaire ; et le cycle annuel des grands temps liturgiques (temporal) où sʼintercale la célébration des fêtes de Marie ou des saints (sanctoral).

Ce calendrier chrétien sʼest mis en place de façon progressive dans notre espace occidental.

C’est le dimanche qui a regroupé dès lʼantiquité les efforts de la pastorale chrétienne. Tout dʼabord pour se séparer du sabbat, puis pour combattre les activités non religieuses païennes (cirque, théâtre ). Le dimanche est le jour ou les communautés se rassemblent pour commémorer la résurrection du Seigneur. C’est le premier jour de la semaine où lʼon célébre la Création. C’est aussi le huitième jour, symbole de la Vie Etemelle, temps de lʼattente du retour du Christ de gloire dans la Parousie. C’est le jour du Christ et un rappel du jour où il s’est rendu présent après sa résurrection. Peu à peu le dimanche sʼest substitué au sabbat dans le monde chrétien. «Ce ne sont pas les actuels sabbats qui me sont agréables, mais bien celui que jʼai fait et dans lequel, après avoir tout mené au repos, je ferai le commencement dʼun huitième jour, cʼest-à-dire le commencement dʼun autre monde. Voilà bien pourquoi nous célébrons comme une fête joyeuse le huitième jour» (Épître de Barnabé).

Mais cela sʼest fait progressivement et différemment selon les églises primitives. Le cycle hebdomadaire qui reproduit la semaine de la création culmine avec le repos de Dieu, le sabbat. Le problème des chrétiens était quʼune majorité dʼentre eux ne venaient pas du monde juif. Fallait-il garder ou nom la célébration du sabbat attendu que Jésus était juif? Le Père de lʼEglise , Justin, au II siècle admet que les chrétiens dʼorigine juive fassent le sabbat et pas les autres. La Didascalie, un document dʼenseignement catholique destiné aux chrétiens de Syrie cherche à les détourner de la pratique du sabbat et à définir un nouveau temps chrétien dévolu à Dieu.

Certains jours étaient dans le monde romain antique plus favorables que dʼautres. Le dies solis, jour du soleil, dimanche, en était un. Au IVe siècle le dimanche devient un jour spécial. Comme lʼempereur Constantin sʼest converti, le pouvoir civil, demande de cesser le travail le jour du soleil aux juges, aux populations urbaines et à certains corps de métier. En 409, Honorius interdit les jeux du cirque le dimanche (en précisant que c’est le jour appelé le jour du soleil). Peu à peu le dimanche on proscrit les activités incompatibles avec la célébration dominicale: activités publiques ou coupables.

La christianisation de la semaine repose sur l’idée que chaque semaine est une semaine sainte. On jeûne le vendredi et le lundi en souvenir de la Passion. Parfois d’autres jours selon les églises locales. Toute la semaine sʼorganise donc autour de ce jour qui reste, selon Vatican II, «la fête primordiale, fondement et noyau de lʼannée liturgique» (SC 106).

Peu à peu apparaît une discipline chrétienne hebdomadaire. Saint Augustin recommande de nommer les jours selon lʼusage ecclésiastique, mais seule la Grèce a entériné cet usage, les autres pays continuant à utiliser les dénominations romaines païennes. Au lieu de reprendre la séquence hebdomadaire de la Genèse avec des jours numérotés de un à sept, la semaine et les mois ont conservé leurs noms païens. lundi – lune, mardi – Mars, mercredi – Mercure , jeudi – Jupiter, vendredi – Venus, samedi – sambini dies (variation du mot sabbat) et dimanche –dies solis, jour du soleil (Sunday en anglais) et les mois que nous connaissons qui représentent des divinités païennes.

La christianisation de la semaine repose sur l’idée que chaque semaine est une semaine sainte

Un cycle liturgique annuel d’autre part

Le fait que l’on ait conscience que lʼorganisation du calendrier est païen ne doit pas nous inciter à imaginer que les fêtes chrétiennes sont des fête païennes solaires ou agraires rebaptisées pour occuper le terrain ou que les saints sont venus remplacer des divinités païennes dans le calendrier.

Vers le IVe siècle, il y a des férial avec les noms et dates anniversaires des martyrs. Les papes choisiront parmi toutes les dévotions populaires celles qui équilibrent le mieux le calendrier de fêtes. Ils ne vont pas chercher à christianiser des fêtes païennes locales mais plutôt à coloniser des dates considérées fastes. Sachant que souvent les tombeaux des martyrs délimitaient déjà une géographie religieuse, ces férial délimitaient eux un temps religieux annuel ou hebdomadaire

Le choix de la date de Pâques posa problème car les évangiles eux-mêmes se contredisent à ce sujet. D’autre part, que célébrer ? La mort ou la résurrection ou les deux ? Devait-on la greffer sur la Pâque juive ou non ? Au IIIème siècle, la Pâque juive sʼarrête à minuit et cʼest Pâques chrétiennes qui commencent, célébrant la Passion.

En Asie, peu à peu la date de Pâques a glissé vers l’équinoxe considérée comme le premier jour de la création et donc jour de résurrection (influence de lʼenseignement rabbinique). Il y a eu glissement de sens : au départ c’était un mémorial de la Passion (Pâques vient de paschein – mourir) qui est devenu un mémorial de la rédemption.

Mais à Rome, on fêtait Pâques tous les dimanches, et on nʼintroduisit la fête de Pâques qu’en 165. Elle était fêtée impérativement un dimanche, vu lʼimportance de ce jour dans le monde romain. La continuité avec la Pâque juive ne sʼimposait pas car les chrétiens romains venaient du monde païen .

Le triduum pascal date du IVe siècle. Cʼest donc notre année liturgique marquée par la commémoration annuelle du mystère pascal, célébrée à lʼorigine dans la seule nuit du samedi au dimanche qui, sous lʼinfluence de la liturgie de Jérusalem, sʼest développée sur trois jours pour former «le saint triduum du Seigneur, crucifié, enseveli et ressuscité» (Saint Augustin).

Le triduum pascal date du IVe siècle.

La fête centrale de Pâques est encadrée par deux saintes semaines : celle de la Passion (la Semaine Sainte, proprement dite, avant Pâques) et celle de la Résurrection (lʼoctave de Pâques qui ne forme liturgiquement quʼun seul jour).

Développement du cycle liturgique

Puis ont été définies les deux périodes qui lʼentourent : le Carême – quarante (quadragesima) jours de préparation au mystère – et le temps pascal – 40 jours jusquʼà lʼAscension et encore dix jours jusquʼà la Pentecôte, pour laisser se déployer le mystère dans la vie de lʼÉglise.

Le cycle de Noël et de lʼÉpiphanie a été plus long à se mettre en place. En Orient dès le IIIe siècle, était fêtée la Théophanie (manifestation de Dieu), le 6 janvier, commémorant lʼadoration des mages, le Baptême de Jésus et les noces de Cana. Les chrétiens orientaux vont conserver la fête de la Théophanie centrée sur le baptême du Christ alors que la tradition occidentale fêtera lʼEpiphanie centrée sur lʼadoration des mages.
À Rome, dès le Ve siècle est fêté le 25 décembre la naissance du Christ, soleil de justice et lumière du monde qui cannibalise le jour du solstice au profit dʼune vision chrétienne de la naissance dʼun nouveau monde.

Au Ve siècle, un temps de préparation – lʼAvent – est instauré.

Entre ces deux grands cycles festifs de Noël et de Pâques sʼintercalent les 34 semaines du temps ordinaire (cʼest-à-dire un temps « ordonné » et non pas « banal ») ou temps de lʼÉglise : cʼest le temps de la maturation et de la sanctification par lʼEsprit.

Entre ces deux grands cycles festifs de Noël et de Pâques sʼintercalent les 34 semaines du temps ordinaire (cʼest-à-dire un temps « ordonné » et non pas « banal ») ou temps de lʼÉglise : cʼest le temps de la maturation et de la sanctification par lʼEsprit.

En conclusion

Notre année liturgique chrétienne sʼest donc structurée en quelques siècles. Elle est constituée d’un temporal: Noël, Pentecôte, Pâques et le cycle hebdomadaire court fondé sur la semaine. A lui se superpose le sanctoral qui fête les saints et martyrs .

Ainsi la liturgie, structurée autour du mystère pascal et dont la fête de Pâques est le sommet, est bien un cycle, puisque sa composition est invariante, mais non pas un cercle fermé : elle nous fait vivre dans le mémorial du mystère du Christ en le réactualisant dans notre vie et en nous ouvrant à lʼattente eschatologique de notre glorification en lui.

Claire L.