» Accueillir le Christ pour mieux nous accueillir les uns les autres «
par Claire Le CHATELIER
Claire Le Chatelier organise des cycles de formation en théologie depuis plus de 15 ans. Passionnée par les questions de théologie et de foi, Claire partage avec nous son « Regard de théologien ».
La rentrée est l’occasion pour la Communauté Catholique Francophone de Singapour de faire plus attention à son sens de l’accueil. Claire nous invite dans ce billet à questionner notre attitude d’accueil de l’autre en tant que chrétien et se penche sur les grandes figures de l’accueil dans la Bible.
*
C’est dans l’épître aux Romains que Saint Paul dans les chapitres 12 à 15 nous exhorte à l’engagement communautaire du chrétien : « Accueillez-vous donc les uns les autres comme le Christ vous a accueillis pour la gloire de Dieu, vous qui étiez païens. » (Rm 15, 7)
Certes, être chrétien est aujourd’hui un choix personnel. Et notre foi nous « oblige » comme le texte de saint Paul le souligne. L’attitude d’accueil mutuel est le signe de notre foi au Christ qui lui-même le premier nous a accueilli « pour la gloire de Dieu ». Ce n’est donc pas un discours consensuel d’inspiration humanitaire où l’accueil de l’autre découle du désir d’accepter la différence ou d’exalter la richesse de la diversité. Comme chrétiens, nous sommes bénéficiaires d’une grâce et pour glorifier Dieu qui en est la source, nous sommes exhortés à nous accueillir les uns les autres.
Nous étions les ennemis du Christ (Rm 5, 10), des païens, et il nous a accueilli en frère. Saint Paul le sait bien, lui qui a persécuté les premiers chrétiens avant d’être touché par la grâce et de devenir lui-même apôtre. Le Christ fait de nous ses amis (Jn 15, 15) et, pour que nous devenions participants de la nature divine, il nous a communiqué sa vie dans l’Esprit (2P 1, 4). C’est le sens de l’accueil réservé au fils prodigue (Lc 15, 22-24) : « Apportez la plus belle robe et l’en revêtez, mettez-lui un anneau au doigt, des souliers aux pieds, amenez le veau gras, mangeons, réjouissons-nous car mon fils que voilà était mort et il est revenu à la vie, il était perdu et il est retrouvé. » L’Église est une communauté de croyants qui s’accueillent les uns les autres car ils ont été accueillis par le Christ pour la gloire de Dieu.
Accueillir le Christ
Chacun sait comme il est difficile de bien accueillir pour avoir vécu dans sa chair le sentiment d’être « mal » accueilli. Or, le Christ s’invite chez nous, il frappe à la porte. L’accueillons-nous ? Sa présence n’est pas automatique et il ne s’impose pas.
Une petite digression cependant sur l’étymologie de l’hospitalité :
Hôte vient du latin hostis qui désigne tout d’abord l’étranger. Chacun est un étranger pour l’autre et hostis vaut pour celui qui accueille comme pour celui qui est accueilli. Aux temps antiques, le barbare est cet étranger que l’on accueille en échange de protection et partage des terres. Mais il arrive que souvent l’hôte devienne un rival et on retrouve la racine hostisdans hostilité.
Hospitalité vient de hospes dont le sens premier est l’hôte qui accueille et aussi celui qui reçoit l’hospitalité. Il va finalement en venir à désigner le voyageur de passage, l’étranger. Hospes donnera hospitalité, hospitalier à la dimension bienveillante spécialement vis à vis des malades.
Lorsque le Christ frappe à notre porte le recevons-nous comme un hospes ou un hostis ?
Nous lisons dans le prologue de l’évangile selon saint Jean un drame terrible. Quelqu’un vient chez lui et les siens ne le reconnaissent pas. Ils ne l’accueillent ni comme familier, ni comme étranger. Et pourtant ce n’était pas n’importe qui : c’était le Verbe de Dieu, le fils unique qui par le mystère de l’Incarnation est venu habiter chez nous, la lumière vraie qui, venue dans le monde, illumine tout homme. Nous le savons le refus n’a pas été total et aux hommes qui l’ont reçu il a donné le pouvoir d’ête enfant de Dieu.
Le Christ s’invite en permanence chez nous : Ap 3, 20 : « Voici, je me tiens à la porte et je frappe ; si quelqu’un entend ma voix et ouvre la porte, j’entrerai chez lui pour souper, moi près de lui et lui près de moi ». Et nous serons près de lui car il s’est rapproché de nous.
Certaines figures évangéliques s’y sont risquées, d’autres non :
Marie la première, qui va comprendre le renversement de valeur opéré par le Christ. D’emblée dans le Magnificat, elle perçoit que personne ne peut être sauvé sinon toute personne que le Christ vient enrichir de sa pauvreté. Les riches et orgueilleux redeviendront pauvres non par leur travail mais par la grâce de Dieu.
Zachée à qui Jésus fait une curieuse demande (Lc 19, 5) : « Zachée, descend vite, car aujourd’hui il me faut demeurer chez toi » . Zachée accepte que le salut passe par lui et va opérer un dépouillement de ses richesses pour se laisser enrichir de la présence de Jésus. Il actualise le Magnificat de Marie.
Simon le pharisien et une femme (Lc 7, 36-50). Simon est curieux de connaître Jésus et il l’invite à sa table. Mais Simon contrairement à Zachée n’a pas une curiosité ouverte, prête à accueillir du neuf. Il aimerait que Jésus se comporte comme lui, qu’il lui ressemble. Il pose une limite à son accueil du Christ qui est donc pour lui un hostis en quelque sorte. Une attitude qui contraste avec celle de la femme et malgré cette expérience touchante de la conversion de celle-ci, le pharisien ne saisit pas l’occasion de la présence du Christ pour se convertir.
L’hospitalité divine
C’est du Christ lui-même que nous recevons un accueil. Il nous propose d’établir sa demeure en nous. Jésus est lui-même tout accueil, dans son rapport au Père, aux étrangers, aux petits.
Jésus et son rapport au Père est souligné dans Jn14, 22 où nous lisons : « Si quelqu’un m’aime, il gardera ma parole et mon père l’aimera et nous viendrons vers lui et nous ferons une demeure chez lui ». En observant la parole du Christ, c’est le Christ dans son rapport filial au Père que nous accueillons. Nous serons aimé du Père qui aime son Fils. Et la manière d’aimer du Père est de faire sa demeure dans le cœur de tout homme qui observe sa parole. Jn 14, 11 : « Je suis dans le Père et le Père est en moi. » Le Père et le Fils s’accueillent l’un l’autre et lorsqu’ils font demeure en nous c’est le processus même de l’accueil qui s’invite en nous.
Jésus se rend solidaire du pauvre et de l’étranger. Mt 25, 35 : « Car j’ai eu faim et vous m’avez donné à manger, j’ai eu soif et vous m’avez donné à boire, j’étais un étranger et vous m’avez accueilli. » Le terme grec xeno, étranger, est traduit en latin par hospes. Jésus se comprend comme un hôte qui demande à être accueilli. Accueillir Jésus dans l’étranger, c’est finalement entrer dans son hospitalité. Pourquoi craindre sa venue ? Et le considérer comme un hostis plutôt que comme un hospes ?
Jésus et les enfants. Lc 9, 46-48 : « Une pensée leur vint à l’esprit : qui pouvait bien être le plus grand d’entre eux ? Mais Jésus sachant ce qui se discutait dans leur cœur prit un petit enfant, le plaça près de lui et leur dit : « Quiconque accueille ce petit enfant à cause de mon nom, c’est moi qu’il accueille, et quiconque m’accueille accueille celui qui m’a envoyé ; car celui qui est le plus petit parmi vous, c’est celui-là qui est le plus grand.« » Nous sommes dans la même logique que dans saint Jean : qui accueille Jésus accueille aussi le Père (celui qui m’a envoyé). Jésus est hospitalier envers tous, sait se mettre au niveau des plus humbles et n’a pas peur de se faire proche de qui s’approche de lui.
Les évangiles qui sont la mise en écrits de la Bonne Nouvelle qu’est Jésus-Christ témoignent que Dieu se fait l’un d’entre nous pour que nous apprenions de lui le chemin à emprunter pour percer le mystère de l’altérité. En nous acceptant comme fils d’un unique père nous pourrons regarder les autres comme des frères.
En se faisant l’un de nous, Dieu nous offre l’hospitalité en sa vie même : « Père, ceux que tu m’as donnés, je veux que là où je suis, ils soient eux aussi avec moi…» (Jn 17,1-2,24). A nous de pratiquer l’hospitalité comme Dieu à notre encontre : « La rencontre et l’accueil de l’autre se relient à la rencontre et à l’accueil de Dieu : accueillir l’autre, c’est accueillir Dieu en sa personne ! » Pape François, 17 janvier 2016.
La demeure de Dieu
« Que votre maison soit toujours accueillante » (Rm, 12,13)
La maison se dit Beth en hébreu. Beth est aussi la deuxième lettre de l’alphabet hébreu dont les lettres servent traditionnellement de support à des rapports symboliques. Ainsi Aleph la première lettre de l’alphabet symbolise Dieu alors que Beth symbolise l’être humain. L’homme est donc symboliquement représenté par une maison. Le premier mot de la Bible dans Gn1 est Bereshit, où reshit désigne l’alliance nuptiale scellée entre Dieu et l’humanité. Cette première parole de la Bible suggère que l’homme est destiné à devenir la maison où se scelle l’alliance avec Dieu.
Ce mystère s’accomplit dans l’Incarnation du Verbe : Jésus, vrai Dieu et vrai homme dans l’unité de sa personne réunit sans séparation ni confusion ses natures humaine et divine. L’humanité de Jésus est la « maison du Verbe » dans laquelle sont célébrées les noces entre le créateur et sa créature. Par le baptême et l’eucharistie, dans notre incorporation au corps total du Christ, chacun de nous est devenu le « Temple de l’Esprit Saint » (1 Co 6,19) c’est-à-dire la « maison de Dieu ».
La maison que nous devons garder accueillante est notre cœur, que sainte Thérèse d’Avila appelle « la chambre nuptiale du Roi ». Afin de ne pas chasser l’hôte divin, il nous faut veiller à ce que l’odeur du péché n’y pénètre pas, mais qu’elle soit embaumée du parfum de la grâce divine.
Si Beth est l’archétype de la demeure intérieure, c’est aussi plus prosaïquement la maison familiale, le foyer, qui doit être accueillant afin que chacun de ses membres y grandisse « en sagesse, en taille et en grâce sous le regard de Dieu et des hommes » (Lc 2, 52).
La maison était aussi le lieu de rassemblement des premiers chrétiens (Ac 2, 46). On retrouve le terme grec oikos (maison, famille) dans notre mot paroisse. Nous avons à retrouver cette notion d’église-famille dans nos assemblées qui se tiennent en un lieu que nous qualifierons de maison, comprise comme le lieu propre à notre famille, les frères en Christ. Et à veiller à son aspect accueillant pour ceux qui viennent y rencontrer le Christ « présent là où deux ou trois se réunissent en son nom ou autour de sa parole » (Mt 18, 20).
Saint Paul nous dit : « Vous n’êtes plus des étrangers ni des gens de passage, vous êtes citoyens du peuple saint, membres de la famille (oikos) de Dieu » (Ep 2, 19). Le Christ est « l’aîné d’une multitude de frères » (Rm 8,29), qui sont tous « fils adoptifs de Dieu » (Ga 3, 26-28). Nous sommes les « pierres vivantes qui servent à construire le Temple spirituel » (1 P 2, 5), « car nous avons été intégrés dans la construction qui a pour fondations les apôtres et les prophètes ; et la pierre angulaire c’est le Christ lui-même. En lui toute la construction s’élève harmonieusement pour devenir un temple saint dans le Seigneur. En lui, nous sommes, nous aussi, des éléments de la construction pour devenir par l’Esprit Saint la demeure de Dieu » (Ep 2,19-22). Veillons donc à ce que la maison du Seigneur et la nôtre soit toujours accueillante pour ceux qui « s’avancent vers Dieu d’un cœur sincère » (He 10,22).
Quant à la maison de Celui qui a fait sa demeure en nous afin de nous accueillir dans la sienne, nul doute qu’elle soit accueillante : « Dans la maison de mon Père, beaucoup peuvent trouver leur demeure ; sinon, est-ce que je vous aurais dit : je pars vous préparer une place ? Quand je serai allé vous la préparer, je reviendrai vous prendre avec moi ; et là où je suis, vous y serez aussi. » (Jn 14, 2-3)
L’autre comme un don
Lorsque l’évangile nous appelle à l’hospitalité il nous invite à accueillir l’autre comme un don. Quel regard portons-nous sur toute personne que nous rencontrons ?
Le pape François nous commente la parabole de Lazare le pauvre : « Lazare nous apprend que l’autre est un don. La relation juste envers les personnes consiste à reconnaître avec gratitude leur valeur. Ainsi le pauvre devant la porte du riche ne représente pas un obstacle gênant mais un appel à nous convertir et à changer de vie. La première invitation que nous adresse cette parabole est celle d’ouvrir la porte de notre cœur à l’autre car toute personne est un don, autant notre voisin que le pauvre que nous ne connaissons pas […] d’ouvrir la porte à ceux qui sont dans le besoin et reconnaître en eux le visage du Christ. Chacun de nous en croise sur son propre chemin. Toute vie qui vient à notre rencontre est un don et mérite accueil, respect, amour ».
Aller à la rencontre de l’autre tel qu’il est, le recevoir comme un hôte (hospes) et non comme un étranger (hostis). Frapper à sa porte pour être reçu par lui afin qu’il se découvre un homme aimable digne d’être aimé. A l’image de Dieu qui prend toujours l’initiative de la rencontre comme en témoigne Jn 5, 5-8 : « Il y avait là un homme qui était malade depuis trente-huit ans. Jésus, le voyant couché là, et apprenant qu’il était dans cet état depuis longtemps, lui dit : Veux-tu être guéri ? Le malade lui répondit : Seigneur, je n’ai personne pour me plonger dans la piscine au moment où l’eau bouillonne ; et pendant que j’y vais, un autre descend avant moi. Jésus lui dit : Lève-toi, prends ton brancard, et marche ».
Nous devons prendre l’initiative de rejoindre l’autre dans sa vulnérabilité pour le soutenir dans son cheminement d’humanisation. Celui qui traverse des épreuves affectives, familiales, professionnelles, celui qui aborde avec inquiétude des situations nouvelles, celui qui arrive pour la première fois dans une nouvelle communauté, voici celui qui a besoin d’être accueilli, de même que celui qui ne nous est pas sympathique et que nous évitons. En effet « Si vous accueillez ceux qui vous aiment quelle récompense aurez-vous ? Les païens eux-mêmes n’en font-ils pas autant ? Vous donc, soyez parfaits comme votre Père céleste est parfait » (Mt 5, 46-48).
Le pape François nous le rappelle : « Ne vous laissez pas voler l’espérance et la joie de vivre qui jaillissent de l’expérience de la miséricorde de Dieu, qui se manifeste dans les personnes que vous rencontrez au long de vos chemins ! »
La réciprocité
L’exhortation de Saint Paul est réciproque : « accueillez-vous les uns les autres ». Mais il serait mesquin de prendre prétexte de cette exigence de réciprocité pour attendre que l’autre prenne l’initiative de faire la démarche. Hâtons-nous au contraire de poser les premiers pas : Jésus n’attend pas que je vienne à lui pour m’accueillir et me proposer la réconciliation. « Comme le Christ nous a accueillis » implique donc un accueil qui ne soit pas conditionné par les torts éventuels de l’autre.En intégrant le pardon dans notre accueil réciproque, au nom de la miséricorde dont nous sommes les premiers bénéficiaires en Jésus-Christ, nous rendons gloire à Dieu.
Nous étions des « païens » avant notre rencontre avec le Christ, lorsque notre justice ne dépassait pas celle des pharisiens (Mt 5, 20), et que nous n’accueillions que ceux qui nous le rendaient avantageusement… Notre conversion est-elle totale pour que nous ayons abandonné le comportement de l’homme ancien et que nous pratiquions un accueil inconditionnel au nom de la miséricorde triomphante ?
En conclusion
Accueillir Jésus comme un hôte demeure toujours un risque, celui de devoir changer de vie, de perdre, de tout donner, de partager, de se convertir. Dans son incarnation, sa mission, le Christ a engagé tout son être. Il nous indique le chemin de l’accueil qu’il dépose en notre cœur, sa demeure.
Notre engagement dans la foi, le Christ nous montre qu’il est possible de le réaliser pleinement. Dans tout engagement il y a une perte de soi, un abaissement, mais aussi plus tard une dilataion de son être. Et quelle dilatation lorsqu’on contemple la résurrection du Christ !
Dans sa lettre aux Ephésiens au chapitre 5, Saint Paul introduit son discours par : « Vous qui craignez le Seigneur, soumettez-vous les uns aux autres ».
Accueillons donc le Christ pour mieux nous accueillir les uns les autres, devenir le Christ pour l’autre, donner à notre demeure le parfum de la grâce, et, pour la plus grande gloire de Dieu, devenir l’étranger-hospes de l’autre et ne jamais devenir un étranger-hostis.
CLC
Sources : Zenit, Maison saint Joseph, Père Feilliet