Une réflexion sur notre vie spirituelle proposée par Jordane L.
C’est dans le Kerala, au milieu d’une retraite de Yoga, entourée de singapouriennes d’origine indienne, chinoise, malaise que j’entreprends d’écrire cet article sur « le corps et le sacré » comme si nos frères hindous venaient me souffler que le corps ne peut être mis de côté dans notre vie spirituelle.
Nous autres catholiques européens avons souffert des pensées d’une longue série de philosophes, avec Platon en chef de file, qui défendaient que le corps est une déchéance de l’âme, une prison dont elle sera libérée lors de notre mort terrestre. Nous avons oublié l’essence ; l’incarnation a marqué une étape primordiale dans l’histoire du salut où Dieu a envoyé son fils pour rejoindre notre corps de chair. Jésus lui-même ne se précipitera pas vers la mort de ce corps mais l’acceptera seulement en temps voulu.
Saint Irénée de Lyon parlera de corps corruptible mais appelé à l’incorruption, nous enjoignant par là-même à en prendre soin, à le respecter et à le faire prendre part à notre chemin vers Dieu.
Alors même si l’Ancien Testament ne mentionne pas le mot « corps » à proprement parler, les commandements ont souvent pour objet la sphère corporelle : pureté, impureté de la nourriture, vêtement, coiffure, environnement. Et les codes révèlent un fort sentiment de la pudeur. La création place Dieu en responsabilité de tout le sensible, donc du corps. Enfin Paul et Jean nous révèle que celui qui meurt n’est pas esprit mais « corps spirituel » nous rappelant que nous ressusciterons corps et âme.
Aujourd’hui nous passons beaucoup de temps à piétiner notre corps. Il n’est plus notre véhicule, notre moyen de transport mais doit être transporté coûte que coûte – souvent au détriment du projet de création- d’un point A à un point B. Le corps est paresseux.
On le maltraite à coups de bistouri, de surnutrition, il ne doit pas nous faire souffrir, mais doit se faire oublier, ne pas vieillir en échange de pilules miracles. Le corps est bafoué, martyrisé au nom de pulsions refoulées, de violences exacerbées, au nom de croyances dégradantes.
Rappelons-nous que le corps est celui qui permet en plus de passer de ce monde à notre père, d’imposer des gestes sacramentaux de guérison, d’envoi en mission, de baptême, de confirmation… Sans le geste, sans le corps, plus de signe visible et efficace pour nous élever vers le père. Rappelons également que nous formons avec nos frères le Corps du Christ dont il est la tête et fonde celle de ses membres.
Le corps enfin est aussi une aide formidable pour entrer en prière et nous tourner tout entier vers le père. Nous sommes invités à nous agenouiller pendant la consécration, signant ainsi notre émerveillement devant le miracle sans cesse renouvelé ; nous levons les mains vers le Père en redisant sans cesse les paroles qu’il nous a appris. Nous osons le signe de paix permettant une pause souveraine et la propagation de la paix du Christ.
Offrons cette tendresse infinie aux plus petits d’entre nous, aux pauvres comme le fait si bien le Saint Père en serrant dans ses bras les malades qui viennent à lui. Ouvrons nos bras mes frères plus que jamais et osons prier avec notre corps pour témoigner de l’infiniment bon et pour aller vers Lui.
Jordane L.
Source : Dictionnaire critique de théologie– Jean-Yves Lacoste – Editions Puf